Traduisant Cerdà (1). L’amour la traduction

La traduction a quelque chose à voir avec l’amour. La première lecture d’une œuvre est parfois comme un coup de foudre. On ne comprend pas tout de l’émotion qui nous envahit mais le trouble est là persistant. Lorsque j’ai découvert la poésie catalane de Jordi Pere Cerdà dans l’édition de Marie Grau (Ed Viena, Barcelone) préfacée par Alex Susanna, j’ai senti qu’il se passait quelque chose, qu’il y avait dans cette langue pour moi un fort pouvoir d’attraction.

Il y a la première rencontre puis, passé le choc, un long cheminement qui fait qu’on a envie de mieux comprendre une œuvre, d’en approcher le cœur. Ce rapprochement prend la forme de la relecture, de l’interprétation mais il peut aussi prendre la forme de la traduction. C’est ainsi que tout a commencé : j’ai traduit mes premiers poèmes de Cerdà comme par amour. Il y avait une grande ferveur dans les premières tentatives. Cet état d’écoute et d’enthousiasme venait souvent tôt le matin, dans l’interstice de liberté qui s’ouvre entre le lever et le début de la journée, quand j’ouvrais le gros volume de la Poesia completa et que je me lançais dans un nouveau poème. Un état de joie. Comme on parle de la joy d’amor des troubadours, on pourrait parler de joy de revirar, joie de traduire, goig de traduir en catalan. Un état de ferveur mais aussi d’angoisse et de doute. Ai-je bien entendu le texte ? Ma langue est-elle à la hauteur, est-elle juste ? Ces deux-là, doute et ferveur, ne m’ont plus quitté pendant le temps du corps à corps avec le texte.

A cette joie de traduire s’ajoutait celle de travailler sur la langue catalane dont j’aime profondément le rythme et l’intonation. Peut-être pour avoir baigné dans son accent et ses expressions dans l’enfance sans pour autant la comprendre. Peut-être parce que je m’intéresse à sa littérature. Peut-être aussi parce qu’elle me plait en soi comme j’aime l’italien et que j’ai fini par l’apprendre. Une langue familière et étrangère.

Il y avait aussi dans cette façon particulière de prolonger l’enchantement qu’est la traduction, l’excitation d’entrevoir de l’intérieur le processus de l’écriture, de plonger dans cette matière vivante qu’est la littérature et d’en ramener un autre texte.

Cet état amoureux fut longtemps sans autre but que lui-même, comme un exercice spirituel solitaire. Et puis un jour, Roger Coste de la librairie Torcatis m’a soufflé l’idée de proposer ces traductions à une maison d’édition. On ne dira jamais assez l’importance des libraires.

Traduisant Cerdà est une série qui rassemble impressions et notes prises pendant la traduction des poèmes de Jordi Pere Cerdà.

Jordi Pere Cerdà, Comme sous un flot de sève, anthologie poétique bilingue catalan-français, La Rumeur libre, 2020.

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