Tessons sur la Têt

Je suis allé à l’embouchure, là où le fleuve creuse sa voie vers la mer. Parti en quête de fragments de céramiques polis et refaçonnés par l’eau. Non en archéologue ou en collectionneur mais porté par la lecture d’un lumineux recueil découvert en début d’année, Tessons,  paru aux Editions d’autre part. Son auteur, Jean Prod’hom, écrivain suisse qui écrit à l’enseigne de http://www.lesmarges.net/., y évoque en petites proses poétiques son ravissement devant ces « rescapés » céramiques. Le singulier éclat de ces morceaux de terre cuite, solitaires et inutiles, rejetés par les hommes, ramenés par les flots et les circonstances me ravit depuis longtemps déjà. Il y évoque la simplicité de sa quête, sur les plages du monde au gré des voyages et le bonheur de constituer une collection sans classement dont la seule finalité est le jaillissement de la poésie. Le livre est émaillé de très belles photographies.

J’ai choisi mon embouchure : celle de la Têt. Un fleuve dont le nom même est testa, tesson en latin, ne pouvait qu’en produire. Sur place, il y avait bien au centre du dernier méandre une voie lactée de coquillages et de micro-débris mais je  n’y ai pas trouvé de tessons colorés et anciens à motifs, seulement des verres fumés, quelques porcelaines blanches et surtout de petits morceaux de briques polis. Ce ne fut pourtant pas une déception et j’en pris une dizaine car ils avaient le charme de la première fois et, malgré leur modestie, déjà un pouvoir évocateur. Les verres polis, souvent verts, issus de bouteilles de bière, sont des calcédoines vérolées ou des camées sans motif. De près, ils déploient des paysages lunaires couverts d’accidents microscopiques. Les bouts de briques à plusieurs bandes, comme des restes d’étendards, témoignent de batailles anciennes. Quant aux grosses et épaisses porcelaines blanches, elles appartiennent à quelques omoplates de rennes remontées de la préhistoire.

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Ce n’est pas sur le fleuve Têt-Testa-Tesson que j’ai trouvé les plus beaux spécimens, c’est à Banyuls à l’embouchure de la rivière Ballaury ou Vallauria en catalan. Cette Vallée dorée fut pour moi un Eldorado. En une demi heure, entre deux averses, aidé par ma fille, nous avons rassemblé un petit trésor sous le regard étonné des passants : tessons à motifs, aux belles teintes bleues, vertes, jaunes,  doux au toucher et au regard. Ce fut une jubilation sans bord franc, une pêche miraculeuse, un moment magique. Je vous les livre aujourd’hui, pris sur un rebord de fenêtre, car je n’avais pas d’appareil au moment de la découverte. Ils se suffisent à eux-mêmes. Sans Jean Prod’hom, sans la littérature, je ne les aurais jamais vus.

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La beauté est égarée, morcelée comme nos vies, impossible de mettre la main sur tous ses éclats.

Jean Prod’hom, Tessons, p.80.

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